REPENSER LA MISSION DU CHRIST
AUJOURD’HUI :
« UNE REVISITE À L’ÉCOLE DE MARIE DANS CE TEMPS DE
CRISES »
Crise ! Crise ! Crise !
Tout est en crise ! À première vue, ces exclamations peuvent apparaître
comme un simple jeu de mots, une exagération. Mais au fond, le fondement y en est
tant. Tout est en crise : la mission et la foi chrétiennes, des systèmes politiques
et économiques, l’identité, mais la liste est inépuisable… !
Si
hier, la croyance religieuse était dominée par des religions triomphantes dont
le Christianisme et l’Islam, si hier le monde était dominé par des systèmes
politiques et économiques monopolisant
dont le capitalisme – religions et
systèmes qui concevaient la réalité et la vérité de manière statique – aujourd’hui, le contexte a changé. Aujourd’hui, la
réalité ainsi que la vérité ne sont plus conçues ainsi, mais plutôt de manière
mutationnelle, en devenir.
C’est
à cause de ce changement du paradigme – de la
statique à la mutation – que les anciens
systèmes tombent en crise. Entre les deux paradigmes se trouve alors un grand fossé
sans pont. De là, une question de fond se poserait ainsi : comment peut-on
remplir ce fossé afin d’assurer un bon avenir de ces systèmes en crise ?
Pour nous y prendre, nous proposons de
revisiter un peu l’école de Marie. Des gestes effectués il y a plus de 2000 ans
par une Femme en Mère de Dieu, ont-ils quelque chose de valeur à la mission et
à la société du troisième millénaire ?
Les
raisons d’être de cette question nous sont nombreuses... En voyant la crise
dont souffre la foi chrétienne aujourd’hui, l’Église-Mère nous a proposé une année
de la Foi (du 11 octobre 2012 au 24 novembre 2013).
Encore, nous venons à peine d’achever le mois de mai, mois de Marie (Celle qui
a cru). Bien plus, le 20 juin, les Missionnaires de la Consolata vont fêter
leur Fondatrice, Notre Dame de la Consolata. Donc le mois de juin est aussi un
mois marial, de la Sainte Vierge Consolata. Nous voudrions alors partager ici
nos réflexions desdits mois – une réflexion
qui met au carrefour la personne de la Mère de Dieu avec des mouvements et systèmes
en crise.
Il y
a plusieurs épisodes dans la Bible qui mettent en scène la personne de Marie.
Dans notre réflexion, nous en prioriserons un : celui qui nous présente le
premier miracle de Jésus, grâce à l’intercession de sa Mère, donc les noces de
Cana (Jn 2, 1-12).
Dans
cette péricope, nous lisons :
« Le troisième jour, il y eut des noces à Cana
de Galilée, et la mère de Jésus y était. Jésus aussi fut invité à ces noces,
ainsi que ses disciples. Et ils n’avaient pas de vin, car le vin des noces
était épuisé. La mère de Jésus lui dit : ‘‘ Ils n’ont pas de vin’’. Jésus
lui dit : ‘‘Que me veux-tu, femme ? Mon heure n’est pas encore
arrivée’’. Sa mère dit aux servants : ‘‘ Tout ce qu’il vous dira,
faîtes-le’’ » (Jn 2, 1-5).
Dans
le péricope cité ci-haut, l’expression « le troisième jour » relit un autre épisode précédent, celui qui décrit l’appellation des premiers
disciples ainsi que la rencontre de Jésus avec Philippe et Nathanaëlle. Ici,
Nathanaëlle est surpris par les paroles de Jésus : « Avant que Philippe t’appelât, quand tu étais
sous le figuier, je t’ai vu » (Jn 1, 48). Ces paroles dévoilent la
nature divine de Jésus : le pouvoir de connaître les réalités cachées.
Aux
noces de Cana – un événement qui tombe le
troisième jour après ladite rencontre – il est
sous-entendu que Marie ainsi que les disciples connaissent la puissance
surnaturelle de Jésus, et surtout Marie, auprès de laquelle Jésus, depuis son
enfance aurait fait quoiqu’en privée, bien d’autres choses extraordinaires.
Mais
alors, devant un besoin urgent tel que s’est présenté aux noces de Cana, quel
est le comportement de la Mère du Tout Puissant ? Étant la Mère de Celui
qui peut tout faire, on s’attendrait à ce que Marie se comporte en tout
orgueil, pour dominer la scène, pour faire les choses par elle-même, pour
dépasser ses limites. Mais au contraire, Marie connaît sa place. Elle sait que,
quoique Mère du Sauveur, le pouvoir ne
lui appartient pas : tout revient à son Fils.
C’est
ainsi que devant une telle situation, Marie ne s’impose pas, elle dit avec
toute humilité : « Ils n’ont
pas de vin ». Au fond, cette expression peut signifier une
intercession auprès de Jésus. Et Jésus de répondre : « Que me veux-tu, femme ? Mon heure n’est
pas encore arrivée ». Et connaissant bien son Fils, Marie ne répond
pas verbalement à cette question, mais elle persévère dans la foi, pour
faire une proposition, cette fois-ci aux serviteurs : « Tout ce qu’il vous dira, faîtes-le ».
Au fond, loin d’être une commande, l’expression « Tout ce qu’il vous dira, faîtes-le » peut signifier une
proposition.
Au
summum de cet épisode, nous pouvons sans beaucoup de peine dégager deux
attitudes d’une Femme du 1er siècle qui peuvent résoudre des crises
du 3ème millénaire.
D’abord,
au niveau de la Foi. Se trouvant tirée entre deux côtés – un côté où les noces n’ont plus de vin et l’autre côté où son
Fils lui dit que son heure n’est pas encore arrivée, Marie persévère dans la Foi.
Aujourd’hui,
la foi chrétienne est en crise, car il y a mangue de persévérance. Aujourd’hui,
nous sommes à la recherche des miracles et des solutions faciles à tout prix…le
nombre d’églises de tout genre se multiple ! Nous forçons et fabriquons
des miracles ! Nous oublions notre place –
celle d’intercéder ou bien de proposer à Jésus –
nous oublions que ce n’est pas nous qui déterminons ni l’heure ni la manière
d’agir de Jésus, – nous prenons ainsi la place
de Jésus – sans persévérer dans la prière. Une
revisite à l’école de Marie nous rappelle de revenir à notre place – celle
d’intercesseurs – et de laisser à Jésus sa
place, celle d’agir.
Ensuite,
au niveau de la Mission. L’agir de la Mère du Sauveur peut nous servir de
modèle à la mission. Aux noces de Cana, Marie connaît et donc retient bien sa
place : elle sait que le pouvoir de changer l’eau en vin ne lui revient
pas : tout est au Christ. Sa place et sa tâche sont celles de proposer
aux serviteurs de faire ce que Jésus dira.
Marie
sait bien que sa mission trouve son fondement dans la mission de son Fils. Dans
cette même perspective, l’Église ne doit pas fonder sa mission sur elle-même
comme si cette mission lui appartenait. Pour surmonter la crise missionnaire,
l’Église doit fonder sa mission sur celle du Christ : « Comme le Père m’a envoyé, moi aussi je vous envoie »
(Jn 20, 21). Ce n’est pas l’Église qui signe sa mission mais elle la reçoit du
Christ, son fondement.
Si au
fil de l’histoire, la mission chrétienne qu’a donnée Jésus à ses Apôtres – « d’aller
et de faire de toutes les nations des disciples, les baptisant au nom du Père
et du Fils et du Saint Esprit » (Mt 28, 19) –
était conçue comme un droit, aujourd’hui, le contexte a changé. Aujourd’hui, la
mission est devenue un devoir, une proposition, à l’instar de
Marie.
Plus
que jamais, nous assistons de nos jours à une conscience plus soutenue du
pluralisme religieux et culturel et de l’altérité, comme le dira Chinua Achebe
dans son ouvrage « Chi in Igbo
Cosmology » : « Partout où il y a Quelque Chose, il y a
Quelque Chose d’autre à côté ». Si au fil des siècles le
christianisme a été conçu comme la seule vraie religion, aujourd’hui, elle est
classée parmi tant d’autres.
Que
dire alors de la mission chrétienne aujourd’hui ? Faut-il la
continuer ? A-t-elle perdu son sens ou sa pertinence ? Qu’en est-elle
devenue ?
La
mission du Christ a encore autant de sens au troisième millénaire qu’au début.
Ce n’est que son paradigme qui a changé : De droit en devoir, d’imposition
en proposition. Les chrétiens et donc les missionnaires feront leur
devoir : celui de proposer aux autres la Foi en Jésus-Christ, le Chemin
qui mène au Père, afin d’y trouver leur salut. Il ne s’agira donc pas d’imposer
leurs projets, leurs cultures, leurs systèmes, encore moins de faire de la
mission une propriété. Après avoir fait leur devoir –
celui de proposer la Foi en Jésus Christ – les
missionnaires céderont la place à l’Esprit Saint, l’Envoyé du Père et du Fils,
le Protagoniste de la mission, afin de jouer son rôle dans cette mission, celui
de convertir.
Une
question qui peut découler de ce changement du paradigme est celle-ci :
« Jésus-Christ, a-t-il cédé d’être
l’Unique Sauveur du monde ? » Dans un climat de dialogue
interreligieux, les réponses en seront multiples : Pour les Chrétiens,
« Jamais ! » Pour les Non-Chrétiens, « Bien sûr ! »
Les
Chrétiens prêcheront toujours leur Foi : « L’universalisme du salut en Jésus-Christ ». Mais cette manière
de croire ne sera point le motif d’imposer leur religion aux autres ni de
négliger les autres religions. L’universalisme du salut en Jésus-Christ se
montrera au niveau de la question du sens que l’Événement Jésus-Christ et le
christianisme donnent à l’histoire humaine. C’est de l’Événement de la croix de
Jésus-Christ que nous pouvons comprendre la mission chrétienne. Celle-ci n’est
pas une question de supériorité mais plutôt d’humilité : il s’agit de
raconter aux autres – afin de leur proposer – l’histoire d’un Jésus de Nazareth, qui, « Étant l'image vivante et consubstantielle du Père, et ne commettant point d’usurpation en revendiquant d'être égal à Dieu, s'est pourtant anéanti lui-même, prenant la forme de l’esclave et devenant semblable aux hommes, qui s'est
humilié lui-même, se rendant obéissant jusqu'à la mort et jusqu'à la mort de la
croix » (Phil 2, 6-9), afin d’élever l’humanité au rang
des dieux. Il est donc question de témoigner l’expérience pascale, l’amour
gratuit de Dieu. Si les Apôtres ainsi que leurs successeurs se sont donnés à
cette mission jusqu’à en mourir, c’est qu’ils étaient convaincus de cette
expérience.
Avec cette
compréhension du changement du paradigme ou de la méthode missionnaire, la
mission chrétienne sortira de sa crise actuelle. Cette manière de faire la
mission – par proposition – au lieu de l’imposition, est indispensable
aujourd’hui, car elle présuppose la reconnaissance de l’altérité, un élément
nécessaire au troisième millénaire pour le vivre ensemble de l’humanité dans un
monde en perpétuelle mutation.
D’ailleurs,
Jésus aurait donné à ses Apôtres une orientation missionnaire de proposition.
Car on ne voit en aucune part dans les Évangiles où Jésus ait imposé sa
prédication : sa mission était celle de proposition. Il semblerait alors
que c’est l’Église primitive, qui, face aux menaces autant politiques que
culturelles de son temps, aurait dévié ladite orientation, pour adopter celle
d’imposition et triomphante.
Pour
comprendre cela, il sied de souligner que le fameux envoi missionnaire de Jésus
en Mt 28, 18-20 – « Tout pouvoir m’a été donné au ciel et sur la terre. Allez donc, de
toutes les nations faites des disciples, les baptisant au nom du Père et du
Fils et du Saint Esprit, et leur apprenant à observer tout ce que je vous ai
prescrit » – n’est pas à lire à
tiroirs séparés. Il faut le lire en parallèle avec la version marcienne – « Allez
dans le monde entier, proclamez l’Évangile à toute la création. Celui qui
croira et sera baptisé, sera sauvé ; celui qui ne croira pas, sera
condamné » (Mc 16, 15-16). Dans cette dernière version, les expressions
« celui qui croira […] celui
qui ne croira pas » montrent clairement qu’au lien d’une imposition,
la mission qu’a confiée Jésus à ses Apôtres était une proposition. Donc, en
envoyant les Apôtres, Jésus aurait reconnu en même temps la liberté religieuse
de tous de croire ou de ne pas croire…
En
finition, la personne de Marie a encore à dire aujourd’hui aux systèmes politiques
et économiques dominants. De nos jours, tous ces systèmes sont en crise, car
ils gardent encore leur conception triomphante. Malheureusement, aujourd’hui il
n’y a de système soit politique soit économique qui soit meilleur, sinon celui
qui donne sens à l’humanité et à l’altérité : un système économique ou
politique au service du développement
intégral de l’humanité.
Voilà
une revisite à l’école de Marie.
« Que la très Sainte Vierge Marie intercède
pour nous, pour qu’à l’instar de son exemple, le monde surmonte ce moment difficile
de crises. Amen ! »