mercredi 7 mars 2012

REPENSER LA MISSION DU CHRIST AUJOURD’HUI : UNE RELECTURE ACTUELLE DE LA PROVIDENCE

                                   « REFLEXION THEOLOGIQUE »
En Lc 9, 1-5, Jésus envoie en mission les Douze Apôtres, et leur donne des attitudes qu’ils doivent adopter comme de bons et d’effectifs missionnaires: « Ayant convoqué les Douze, il leur donna puissance et pouvoir sur tous les démons, et sur les malades pour les guérir. Et il les envoya proclamer le Royaume de Dieu et faire des guérisons. Il leur dit : « Ne prenez rien pour la route, ni bâton, ni besace, ni pain, ni argent ; n’ayez pas non plus chacun deux tuniques… ».

Ce pouvoir qu’a conféré Jésus à ses apôtres se vérifie dans la mission de ceux-ci, surtout dans les Actes des Apôtres. En Ac 3, 1-10, nous en trouvons une confirmation : « Mais Pierre dit : « De l’argent et de l’or, je n’en ai pas, mais ce que j’ai, je te le donne : au nom de Jésus Christ le Nazôréen, lève-toi et marche ! Et le saisissant par main droite, il le releva…et la voilà qui marchait… ».

Ces deux lectures, dont la dernière actualise et confirme la première, servent de clé de lecture de la promesse qu’a donnée Jésus à ses Apôtres après leur envoie en mission  « …Et voici que je suis avec vous pour toujours jusqu’à la fin de l’âge » (Mt 28,20). Nous voyons là-dessus à la fois une promesse et une actualisation de la présence de Jésus dans tous les âges de l’Eglise : une promesse et une actualisation dont on ne peut point douter la vérité.

N’est-ce pas là une « Providence missionnaire », c’est-à-dire le fait que Jésus est toujours présent et agit à travers ses envoyés ? Mais doit-ton s’y arrêter, ou peut-on aller plus loin en vue de faire une relecture qui apporterait des réponses aux nouveaux paradigmes missionnaires à cette question?

L’Apôtre Paul, l’un de premiers bénéficiaires de cette providence, dit aux Thessaloniciens : « Car vous savez bien comment il faut nous imiter. Nous n’avons pas eu une vie désordonnée parmi vous, nous ne nous sommes fait donner par personne le pain que nous mangions, mais de nuit comme de jour nous étions au travail, dans le labeur et la fatigue, pour n’être à la charge d’aucun de vous non pas que nous n’en ayons le pouvoir, mais nous entendions vous proposer en nous un modèle à imiter…nous vous donnions cette règle : si quelqu’un ne veut pas travailler, qu’il ne mange pas non plus. Or nous entendons dire qu’il en est parmi vous qui mènent une vie désordonnée, ne travaillant pas du tout…Ceux-là, nous les invitons et engageons dans le Seigneur Jésus-Christ à travailler dans le calme et à manger le pain qu’ils auront eux-mêmes gagné »(2Cor 3, 7-12). L’auteur des Actes des Apôtres nous en parle ensuite : « Après cela, Paul s’éloigna d’Athènes et gagna Corinthe. Il y trouva un Juif nommé Aquilas,… avec Priscilla, sa femme…Il se lia avec eux, et comme ils étaient du même métier, il demeura chez eux et y travailla. Ils étaient de leur état fabricants de tentes » (Ac 18, 1-3).

Nous voyons Saint Paul travailler pour gagner son pain quotidien, bien qu’il possède ce pouvoir et cette puissance donnés par le Christ ressuscité, et il invite les autres à se servir de lui de modèle. Alors, peut-on oser dire qu’en travaillant, Paul contredisait le pouvoir et la puissance que lui avait été donnés par le Christ ? Non ! Il le confirmait plutôt !

Après sa résurrection, Jésus envoie les Apôtres en mission en leur disant « Tout pouvoir m’a été donné au ciel et sur la terre. Allez donc…Et voici que je suis avec vous pour toujours jusqu’à la fin du monde » (Mt 28, 18-20).  C’est ce même pouvoir et cette même puissance que Jésus donne aujourd’hui à ses envoyés, qui sont les missionnaires et les évangélisateurs de la Bonne Nouvelle. Jésus refuse tout attachement aux richesses  à ses envoyés (l’agir pour l’intérêt personnel). En revanche, il leur donne tout : le détachement (la puissance et le pouvoir d’agir pour l’intérêt communautaire). Jésus leur donne le pouvoir d’agir et de transformer ou bien d’améliorer la vie de ceux qu’ils vont évangéliser. Cet agir est multiple, selon les besoins de la mission : prêcher, chasser les esprits impurs (les démons), guérir…c’est-à-dire, un agir englobant : soit physique, soit spirituel, soit intellectuel, soit moral et nous en passons. C’est pourquoi, selon les besoins et les réalités qu’il rencontre à Antioche, Paul se met à travailler, en intégrant pour autant ce travail avec les autres domaines de sa mission, dont la proclamation directe de la Bonne Nouvelle. Cela ne nous dit-il rien par rapport à la mission de l’Eglise aujourd’hui ? Il semble bien que si ! Cela nous amène à nous poser cette question : « la providence, qu’est-ce à dire ? » Voyons-le de près.

Dès sa fondation, l’Eglise jouit toujours de la providence divine : Elle a l’expérience d’un Jésus qui agit chez ses envoyés, et qui suscite chez les gens la bienveillance pour soutenir, par dons, la mission. C’est le cas de la première communauté chrétienne (Ac 4, 32 – 5,11), et de la Patrimoine de Saint Pierre à Rome.

Une relecture critique et réaliste de la mission aujourd’hui nous amène à constater qu’aujourd’hui, les dons dont jouissait l’Eglise deviennent de plus en plus  légères, et surtout chez les Eglises naissantes du Tiers-Monde. Peut-on alors dire que Jésus n’agit plus en faveur de ses envoyés ? Pas question ! Jésus est toujours présent dans son Eglise, comme il l’a promis. Ce n’est qu’un déplacement du paradigme ou un tournant de la réalité missionnaire, qui veut nous interpeller à une relecture de la Providence. C’est un signe des temps : L’époque  où l’on attendait tout d’ailleurs est vraiment dépassée et épuisée. Dorénavant, chacun doit se mettre au travail. Chacun doit mettre ses talents et ses dons au service de sa communauté.

Cette invitation de la réalité missionnaire actuelle n’est pas véritablement une nouveauté ; car, nous l’avons vu, dès la fondation de l’Eglise, les missionnaires travaillaient et  mangeaient de leur sueur (c’est le cas de Saint Paul). Il parait qu’avec les dons qui venaient surtout de l’Europe, cette dimension de travail en vue de gagner son pain a été un peu négligée chez les annonciateurs de l’Evangile, tout en insistant inconsciemment, au niveau matériel, sur la réception des dons  comme le seul type de  providence. Aujourd’hui, nous en sentons les effets. Cela nous rappelle que travailler est aussi une forme de providence. Heureusement, la partie spirituelle de la providence, (la présence de Jésus dans son Eglise), a été bien retenue.

Dans les Eglises locales (surtout dans les Eglises naissantes), ainsi que dans les instituts et les congrégations religieuses et missionnaires, l’autofinancement ou l’autosuffisance est devenu aujourd’hui un problème majeur. Selon  le Décret Ad Gentes (Vatican II), le Synode africain, ainsi qu’« Eclessia in Africa » (Jean-Paul II) : « Il est nécessaire que toute communauté chrétienne soit en mesure de pourvoir par elle-même, autant que possible, à ses propres biens. L’évangélisation requiert donc, outre les moyens humains, des moyens matériels et financiers substantiels…il est donc urgent que les Eglises particulières… se fixent  pour objectif d’arriver au plus tôt à pourvoir elles-mêmes à leurs besoins et à assurer leur autofinancement… » (« Ecclessia in Africa » n° 104 ; Cf. Vat II, Ad gentes, n° 15 ; Cf. Maurice Cheza (éd), « Le Synode africain », p. 340-341).

C’est le moment opportun de promouvoir et de mettre l’accent sur la Théologie du Travail, autant dans les Eglises locales que dans les congrégations missionnaires ou les instituts de la vie consacrée, en vue d’y faciliter l’autofinancement. La formation théologique de base et de cycle doctrinal ne suffit point ! Il faut autant d’autres orientations supplémentaires. Les Eglises locales ainsi que les congrégations missionnaires ou les instituts de la vie consacrée doivent se donner à former leurs membres : pour qu’un prêtre (par exemple un curée d’une paroisse) célèbre  des sacrements le matin, et aille gagner son pain quotidien le soir ;  qu’un religieux ou une religieuse fasse l’apostolat le matin, et s’engage l’après-midi dans sa profession pour l’autofinancement de sa communauté, à l’instar de Saint Paul. L’envoyé de Jésus sera formé dans telle façon qu’il arrive à équilibrer les deux faits: s’occuper des âmes : évangélisation ou mission  directe ;  et travailler : évangélisation ou mission (directe ou indirecte).

Aux termes, nous pouvons appeler cette Théologie du Travail « une providence à la réponse aux exigences actuelles de la mission. C’est une providence véritable, car c’est Dieu qui nous donne « ce pouvoir et cette puissance » (Mt 28, 18-20), sous une forme à la fois spirituelle (évangéliser, guérir, chasser les esprits impurs…), et physique (des dons, des talents, des capacités… (Cf. la parabole des talents : Mt 25, 14-30). Alors, nous devons en faire bon usage pour le bien de la mission. Il s’agit seulement d’ouvrir nos yeux pour voir cette providence, et d’avoir l’esprit d’en oser. Nous en sommes sûrs que les Eglises locales ainsi que les congrégations missionnaires ou les instituts de la vie consacrée qui s’engagent dans cette perspective en ont déjà vu les fruits : la Providence !

Un dicton en notre langue maternelle (Kikamba) dit ceci : « Ngai atetheeasya ula witetheesye » (Dieu aide celui qui s’aide). De sa bonté, Dieu nous pourvoit tout, mais il veut que nous aussi nous y participions. Voilà la providence !

John Kioko Mwana’a Mwania,imc, Théologat Joseph Allamano, Kinshasa-RDC.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire