mercredi 7 mars 2012

REPENSER LA MISSION DU CHRIST AUJOURD’HUI : UNE RELECTURE DE «CHARISME ET CULTURE»

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« Réflexion théologique »
Cette réflexion théologique s’inspire de trois documents : les Xe et XIe Chapitres Généraux(IMC), et la Magna Carta pour la biennale de l’interculturalité(IMC), qui encouragent un approfondissement continuel de notre charisme, ainsi que son inculturation, afin de mieux vivre l’interculturalité.
Parler de « charisme et culture» suscite au moins deux problèmes majeurs. La relation entre la culture et le charisme, c’est-à-dire « l’inculturation du charisme et la ‘‘charismatisation’’ des cultures » d’une part, et d’autre part, la relation entre différentes cultures, c’est-à-dire « l’interculturalité ». Avant de traiter ces deux problèmes, nous allons d’abord voir ce que c’est une culture ainsi qu’un charisme.
La culture, qu’est-ce ?
Aujourd’hui, comme le constate Jean Paré, le concept le plus populaire pour exprimer la diversité humaine est celui de « culture ». L’anthropologie, étant ‘‘la science des cultures’’, a fait la promotion de ce concept pour spécifier ce qui est ‘‘culturel’’ en apposition au ‘‘naturel’’ : « la culture, c’est tout ce qui n’est pas inné et héréditaire dans les groupes humains, toutes ces caractéristiques qui ne sont pas transmises par l’hérédité humaine mais acquises par l’influence de la famille et de pairs, du milieu et de l’éducation » (Défis à la mission du troisième millénaire).
Le charisme, qu’est-ce ?
Comme le remarque Élie Muakasa, certains Instituts de Vie Consacrée(IVC) ou de Vie Apostolique(IVA) semblent tentés de s’identifier à leurs œuvres traditionnelles ; leur raison d’être apparaît comme liée aux tâches de l’éducation, aux œuvres d’assistance charitable, à divers travaux dans les paroisses et aux missions. Or, lorsque ces missions ou services perdent leur actualité, du coup, les valeurs qui constituent comme leur raison d’être entre aussi en crise, ainsi que les membres de ces instituts (Cf. Ses pas sur nos chemins). C’est pour cela qu’il faut bien saisir ce qu’est le charisme d’un institut.
Tous les charismes des IVC et IVC sont d’abord les charismes personnels que les fondateurs ou fondatrices transmettent à leurs disciples. Ces charismes personnels ont comme origine l’expérience fondatrice, c’est-à-dire une expérience personnelle de Dieu que ces fondateurs et fondatrices ont faite ; une expérience spirituelle profonde et mystique de l’union avec Dieu, où Celui-ci se fait saisir comme l’Absolu, référence ultime de notre être tout entier : une totalité qui comble l’affectivité en relation avec Dieu. On arrive alors à percevoir une certitude ineffable : « Dieu est tout pour moi »(Ibid). Pendant cette expérience, la personne conçoit ou contemple une image personnelle de Dieu : « qui est le Seigneur pour moi ? » Cette personne donne alors à Dieu ou à Jésus un nom qui convient à cette image. C’est cela qu’on appelle le charisme ou le don de l’Esprit de cette personne. Lorsque les fondateurs et fondatrices fondent des instituts, ils transmettent ce charisme personnelle à leurs disciples. Il devient alors le charisme du fondateur. Le charisme du Fondateur est alors une inspiration, une intuition originaire provenant de l'Esprit. Elle permet au fondateur de percevoir un aspect du Seigneur de plus près, de voir de manière plus évidente un "trait" de son visage, qui répond souvent à un besoin ecclésial d'une époque (http://www.missionerh.it/Francese ). Il faut bien distinguer le charisme du fondateur ou de la fondatrice, le charisme de fondation, et le charisme de l’institut. Par le charisme du fondateur, on entend le contenu de l'expérience qui, née d'une inspiration surnaturelle, lui sert de guide dans la compréhension existentielle du mystère du Christ et de son Évangile. Le charisme de fondation est toujours lié au moment des origines. C’est un don (charisme) accordé par l’Esprit Saint à quelqu’un, fondateur ou non, pour qu’il puisse jouer un rôle déterminant à la naissance et au développement pendant les premières heures d’une famille religieuse pour donner une physionomie concrète à ses œuvres. Par le charisme de l'Institut, on entend le cheminement historique et les différentes modalités d'adaptation du charisme du fondateur, une réfraction collective du charisme du fondateur qui entre en relation avec la vie et avec les charismes des personnes appelées par l'Esprit à perpétuer dans le temps, d'une façon dynamique, toute la potentialité de l'inspiration initiale, et à montrer partout ses expressions historiques possibles. Il y a donc, d'une part l'expérience spirituelle d'une personne charismatique, c'est-à-dire sa rencontre décisive avec le Christ, et d'autre part l'expression dynamique de son esprit dans le temps et l'espace (http://www.ayaas.net/vr/iza22.htm).
À titre exemplaire, le Fondateur des Missionnaires de la Consolata, le Bien heureux Joseph Allamano eut cette expérience fondatrice lorsqu’il fut Recteur du Sanctuaire de Notre Dame de la Consolata à Turin. Il a contemplé une image personnelle de Dieu en donnant alors à Celui-ci un nom qui convient à cette image qu’il a contemplée: un Dieu Consolateur. Dieu a consolé le monde avec son Fils Jésus-Christ. Donc, Jésus-Christ est la Vraie Consolation. La Sainte Vierge Marie, sous le titre de Notre Dame de la Consolata, est la première à être consolée, en concevant dans ses entrailles le Christ (la Vraie Consolation), et elle a ensuite participé dans cette mission de Dieu de donner Jésus (la Vraie Consolation) au monde. D’abord consolée, Marie pouvait alors participer dans la consolation du monde.
C’est pour cela que nos constitutions considèrent que la première caractéristique des Missionnaires de la Consolata est de « se sentir participants de la mission maternelle de Marie de porter au monde la vraie Consolation, le Christ sauveur, et avec elle nous annonçons la gloire de Dieu aux peuples. Nous prenons et présentons Marie comme modèle de vertu, et nous avons pour elle un amour filial et authentique » (Constitutions IMC, (1982), art. 11). C’est cette expérience personnelle de Dieu comme Consolateur ou de Jésus comme Consolation qui a poussé notre Fondateur Bienheureux Joseph Allamano à fonder les deux instituts pour partager cette Consolation d’abord avec ses disciples (les Missionnaires de la Consolata), et ensuite avec le monde entier. C’est ce charisme personnel (de Dieu comme Consolateur, ou de Jésus comme la Vraie Consolation) qu’a passé notre fondateur à ses disciples, les Missionnaires de la Consolata.
En synthétisant les articles 4 et 5 des Constitutions de l’IMC sur l’identité et la fin de l’Institut, le Père Francesco Pavese exprime ainsi le contenu de notre charisme: « ‘‘mission ad gentes dans la sainteté de vie’’, vécu et réalisé selon l’esprit et les caractéristiques indiquées par Allamano » (Enculturation of the charisma in Interculturality). Mais quant à nous, d’une manière plus profonde, et par rapport à l’expérience fondatrice faite par notre Fondateur (image d’un Dieu Consolateur), le mot « consolation » conviendrait mieux, et résumerait tout : « consolation de ses membres (sainteté de vie) et consolation du monde entier (mission ad gentes) : la consolation. Voilà le fond du charisme des Missionnaires de la Consolata. Voilà ce qui nous caractérise, et qui nous identifie, voire nous distingue des autres Instituts qui s’engagent dans la même mission ad gentes. Voilà l’élément ou la substance qui traverse et subsiste tous les trois moments du charisme (le charisme du fondateur, le charisme de fondation et le charisme de l’Institut), et qui subsiste même pendant et après l’inculturation du charisme. S’il est exigé aux Missionnaires de la Consolata de retenir le nom « Consolata » partout dans le monde, la raison de cette exigence devrait être celle-là. Peut-être le Père Salvador Medina voulait-il souligner cela lorsqu’il qualifie la « Consolata » comme notre identité (Interculturality and charisma, in Interculturality). Dans cette façon, nous croyons avoir répondu à la question de Jean Paré : « Quelle sera cette identité fondamentale qui fera de nous toutes et tous des Missionnaires de la Consolata? » (Tentative d’approche critique du charisme des Missionnaires de la Consolata, sur http://www.consolata.org). En entrant plus profondément encore, nous pouvons voir que même dans cette formulation « consolation de ses membres (sainteté de vie) et consolation du monde entier (mission ad gentes) », le seul aspect qui subsisterait et resterait comme tel c’est la consolation des membres (la sainteté de vie), l’union avec Dieu, qu’est le fondement de la vie consacrée. L’autre aspect, « la mission ad gentes (la manière de consoler le monde) » peut changer selon les exigences de la mission pendant différentes époques.
Toutefois, avec toute humilité voire en reconnaissant notre ignorance en cette matière, nous faisons l’observation et exprimons le souci que voici : En lisant très attentivement les articles qui soulignent l’identité et la fin de notre charisme (art. 4-9), ainsi que les œuvres des experts sur le fondateur et le charisme (Père Gottardo Pasqualetti : « The seed of the Charisma » et Père Francesco Pavese : « Enculturation of the Charisma : Convictions and Attitudes », in « Interculturality », il nous semble que l’on y souligne plus l’aspect missionnaire que celui de sainteté de vie, le faire plus que l’être. Or, la logique pédagogique d’Allamano nous montre clairement qu’il était au courant du but primaire de la vie religieuse, pas la mission, mais d’abord « l’union intime avec Dieu ». Cela se montre très clairement lorsqu’il dit : « la première finalité de l’Institut est la sanctification de ses membres, celui qui vient ici, il vient pour faire sienne cette finalité » (Voici mon esprit). D’où son expression fameuse: « D’abord saints, ensuite missionnaires…il ne faut pas chanter les termes : d’abord notre sanctification, ensuite la conversion des autres…que chacun pense à l’obligation qu’il a prise en entrant dans l’Institut ; qu’il pense à la voix de Dieu qui l’a appelle à être saint... Bref, évangéliser par la sainteté de sa vie » (Ibid.). Ces expressions nous montrent nettement la pédagogie du Fondateur : la primauté de la sainteté sur la mission, de l’être sur le faire, la primauté de la consolation de ses disciples (devenir saint, l’intimité avec Dieu le Consolateur, être consolé) sur la consolation du monde (la mission ad gentes). Ce qui prime chez Allamano ce n’est pas la mission ad gentes (la consolation du monde, une réalité toujours en mutation, en devenir et en interprétations nouvelles), mais la sainteté de vie des Missionnaires de la Consolata (consolation des membres), l’union avec Dieu, l’élément le plus fondamental de la vie consacrée. Le but premier d’entrer chez les Missionnaires de la Consolata c’est d’entrer en union avec un Dieu-Consolateur, pour être consolés. On passerait alors à côté du charisme si l’on insiste trop sur la mission ad gentes en oubliant ou en négligeant l’union avec Dieu, qui est le fondement de la vie religieuse. D’où l’urgence de revoir la formulation du cinquième article des Constitutions de l’IMC : « la fin qui nous caractérise dans l’Église est l’évangélisation des peuples; elle est réalisée pour la gloire de Dieu et par la sainteté de vie» (Constitutions IMC(1982), art. 5). La sainteté n’est pas visée ici comme fin, mais comme un moyen de faire la mission. Or, on devrait insister sur la primauté de la sainteté de vie sur la mission, et non pas le contraire. Lorsqu’on souligne plus l’aspect de faire que celui de l’être, cela conduirait facilement à une des difficultés soulevées par le Père Stefano Camerlengo : une atmosphère basée sur ceux qui ont le moyen de « faire la mission », et donc ceux qui décident tout, et ceux qui n’en ont pas, et donc ceux qui n’ont pas de voix. Donc l’authenticité d’un missionnaire de la Consolata devrait être jugée non à partir de sa mission, mais à partir de sa sainteté.
Ayant clarifié chacun de ces termes, voyons de près leur liaison. Mais avant tout cela, soulignons d’emblée la difficulté qui se trouve entre ces deux concepts : inculturation et interculturalité. Il y a des auteurs qui soutiennent qu’aujourd’hui il faut adopter l’interculturalité au lieu de l’inculturation, car quant à eux, le christianisme est une culture. Donc d’après eux, l’inculturation serait l’intercommunication entre la culture chrétienne et les autres cultures. L’inculturation devient un type d’interculturalité (Joseph Ratzinger, Christian Faith and Challenge, cité par Stephen Okello, The Mind behind modernity in Interculturality). Le défaut de ces penseurs c’est qu’ils comprennent l’inculturation comme une transplantation. Ils oublient que lorsqu’on parle de l’inculturation, il s’agit d’une rencontre entre l’Évangile (Jésus-Christ Lui-même) et les cultures. Or, Jésus-Christ Lui-même ne s’est identifié à aucune culture. De ce fait, il faut faire une distinction entre l’inculturation et l’interculturalité, mais tout en les fondant dans l’Évènement Jésus-Christ. Voyons de près comment s’y prendre.
Inculturation du charisme et ‘‘charismatisation’’ des cultures
L’expression ‘‘inculturation du charisme’’ a parcouru un chemin parallèle au concept ‘‘inculturation de la foi’’. Tandis que dans l’Église primitive l’inculturation de la foi avait connu une grande vivacité, avec le passage des siècles, la formulation de la foi était monopolisée par les grandes cultures et perdait de la force. Seulement dans les plus récentes décades, quand la conception de l’inculturation de la foi a pris consistance dans l’Église, même l’inculturation du charisme a commencé à attirer l’intérêt de la part des Religieux et religieuses (La Carta Magna, 80). Ainsi, comme nous parlons de l’«inculturation de l’Évangile et l’évangélisation de la culture »( Africae Munus, 36-37), « ‘‘une intime transformation des authentiques valeurs culturelles par leur intégration dans le christianisme’’ d’une part, et de l’autre, « l’enracinement du christianisme dans les diverses cultures »(Ecclesia in Africa, 59 ; Slavorum Apostoli, 21 ; Redemptoris Missio, 52), l’inculturation du charisme procédera pareillement : d’une part, une transformation des authentiques valeurs culturelles par leur intégration dans le charisme de l’institut(‘‘charismatisation’’ des cultures) et, d’autre part, l’enracinement du charisme dans les diverses cultures (inculturation du charisme).
Comme le constate le Père Anthony Bellagamba, les missionnaires ont implanté dans tous les pays du monde le modèle occidental de l’Église, une Église qui s’est institutionnalisée dans la culture occidentale. Cette situation est la source de multiples tensions entre le centre romain et la périphérie des Églises locales (Globalizzazione e universalità della Chiesa). Mais au fond, pourquoi cette implantation de l’Église et de la culture occidentales dans le monde ? Pour répondre à cette question, prenons le cas d’Afrique. C’est à cause d’une mentalité qui a commencé en Occident au XVIIIe siècle, avec les débats menés par les philosophes théistes (Voltaire, Rousseau, Hume et Hegel) sur la religion naturelle et l’origine de l’idée de Dieu. Nous trouvons ici leurs idées sur l’être humain africain et de son idée de Dieu. Quant à Voltaire et à Rousseau, les Primitifs ou les Sauvages (les Indo-Européens, les Indiens d’Amérique et les Africains) ne sont pas capables d’atteindre l’idée de Dieu, car cela ce n’est que l’affaire des philosophes éclairés, et d’ailleurs, ils n’en ont pas besoin. Car l’idée de Dieu est censée réguler l’agir moral de l’être humain moderne. Or le Sauvage, plus près de la nature non corrompue, n’en a pas besoin. Il est moralement bon. Hume accorde aux africains l’accès à l’idée de Dieu, mais leurs religions ne dépassent pas le niveau du polythéisme idolâtre, une étape encore grossière de l’évolution de l’idée de Dieu vers l’idée de l’Être suprême. La table rase hégélienne nie l’humanité à l’Africain, met en question son Dieu et laisse l’Afrique hors de l’Histoire (Bede Ukwuije, Trinité et inculturation). C’est sur cette influence des Lumières que les anthropologues, issus de l’évolutionnisme unitaire (Herbert Spencer, Edward Tylor et Lucien Lévy-Bruhl), situent les religions africaines plutôt aux stades inférieurs de l’évolution des religions et les relativistes (Leo Frobenius et Wilhelm Schmidt), en accordant aux religions africaines l’idée du monothéisme pur, les considèrent plutôt comme les stades supérieurs de cette même chaîne d’évolution. Par exemple, l’un d’eux, Wilhelm Schmidt, contrairement aux théories évolutionnistes linéaires et à la philosophie des Lumières, affirme que le culte de l’Être suprême existe chez les Indo-Européens, les Indiens d’Amérique et les Pygmées d’Afrique. Nous somme ici au commencement de l’apologétique du monothéisme primitif (Ibid.).
C’est cette apologétique du monothéisme primitif, commencée en Occident, qui a marqué la théologie africaine de l’inculturation jusqu’à nos jours. À l’instar de ces relativistes, les théologiens africains ont adopté une approche théologie apologétique pour affirmer qu’ils étaient des êtres humains au même titre que les Européens, parce que croyant en un Être suprême. Cette théologie apologétique a empêché une saine inculturation de la foi en Afrique. Il en va de même pour les charismes de la vie religieuse. Dans les missions, le charisme d’un Institut continuait à s’exprimer exactement comme cela se passait dans la mère patrie(Europe) (La Carta Magna, 80). Comme le fait remarquer le Père Piero Trabucco, avec l’indépendance des pays africains, l’enseignement du Vatican II ainsi que la diminution des vocations religieuses en Occident, les instituts une fois dominés cent pourcent par les Européens, commencent à avoir des communautés interculturelles et internationales (Interculturality in the life of the institute and of our communities, in Interculturality). Les missionnaires de ces instituts connaissant les mêmes préjugés que les Africains n’étaient pas des êtres humains. D’abord, on doutait si l’on pouvait les baptiser, et aussi si on pouvait les former pour enfin de devenir des missionnaires aussi. Cela a pris du temps. Et même les premiers Africains qui ont été formés missionnaires ont connu beaucoup de difficultés. Car la mentalité de ces missionnaires était d’imposer leur culture ainsi que le charisme sans l’inculturer dans les milieux locaux. C’était alors normal que les Missionnaires africains réagissent contre cela. Cette démarche apologétique a empêché une saine inculturation du charisme dans les cultures locales.
C’est pour cela que dans cette réflexion nous proposons une démarche non apologétique de l’inculturation du charisme. C’est-à-dire, comme dans la théologie non apologétique on pense Dieu et l’être humain à partir de l’Événement Jésus-Christ, dans l’inculturation du charisme, le point de départ ce n’est pas telle ou telle culture, mais le charisme, qui est un don de l’Esprit-Saint, donc divin et qui se fonde sur l’Évènement Jésus-Christ. « Le charisme ne manifeste aucune préférence culturelle parce qu’il désire rejoindre toutes les cultures » (La Carta Magna, 83). Dans ce cas, étant un don de l’Esprit, et d’inspiration évangélique, donc d’origine divine, il relativise, purifie, transforme et divinise ou « charismatise » les cultures. Pour le cas des Missionnaires de la Consolata qui contemplent une image du Dieu Consolateur, le processus d’inculturation du charisme consistera à promouvoir dans les cultures tout ce qui est consolation, tout en relativisant toutes les autres pratiques qui y sont contrent. Cette démarche non apologétique de l’inculturation du charisme peut résoudre beaucoup de problèmes qu’on peut rencontrer surtout lorsqu’on subit des complexes de supériorité ou d’infériorité culturelle, en identifiant le charisme à une culture dominante. Mais pour que cette inculturation du charisme soit possible, il faut distinguer ce qui est essentiel ou fondamental de ce qui est accidentel ou fonctionnel dans le charisme. Car on n’inculture pas ce qui est essentiel ou fondamental mais ce qui est accidentel ou fonctionnel. C’est cela que le Père Francesco Pavese veut souligner lorsqu’il dit : « Lorsqu’on parle de ‘‘l’inculturation du charisme’’, cela ne veut pas dire l’inculturation du don surnaturel en lui-même, mais l’effet de vie et d’apostolat qu’il a fait naître à travers les siècles » (Enculturation of the charisma). Autrement dit, on n’inculture pas le charisme du fondateur, mais le charisme de l’institut. Cette distinction est très pertinente, car elle aide l’Institut à surmonter des crises d’identité à travers les siècles. Étant un don divin, le charisme est éternel, elle ne meurt pas, mais les Instituts peuvent mourir faute d’identification de leur charisme, ou lorsqu’ils confondent ce charisme aux missions ou aux services d’apostolat qui en naissent.
Dans le charisme des Missionnaires de la Consolata, la consolation est l’aspect essentiel et fondamental. La consolation, l’image de Dieu qu’a contemplée Joseph Allamano, le visage de Dieu que les Missionnaires de la Consolata portent aujourd’hui dans le monde restera, résistera et les marquera au travers les siècles. Mais le style de la mission ou de l’apostolat peut changer selon les besoins de chaque temps. Il peut arriver à un moment dans l’histoire qu’on n’ait plus besoin de la première évangélisation (mission ad gentes), mais les membres de l’Institut ainsi que le monde auront toujours besoin de Jésus, la Vraie Consolation. Ainsi, la consolation restera toujours, mais le contexte de la mission peut changer, on peut consoler le monde autrement, que par la première évangélisation. On peut avoir une nouvelle lecture de la mission ad gentes. Car « ad gentes » est un concept en mutation, en devenir. Jean Paré nous en inspire un tel exemple : « les Trinitaires, au départ, voulaient libérer les prisonniers faits par les Sarrasins, mais maintenant, ils se sont ‘recyclés’ dans le ministère auprès des personnes en prison » (Tentative d’approche critique…), une nouvelle compréhension du même charisme. Examinons ce qu’en est l’interculturalité.
Interculturalité
L’interculturalité est la synthèse d’effectifs processus d’interaction culturelle. C’est un processus composé de différentes étapes, un projet qui met au centre la rencontre entre différentes personnes, dans le but d’interagir. Il suppose des attitudes fondamentales, comme le respect, la confiance réciproque et l’ouverture à la diversité, et il vise non pas tant l’intégration des diversités que la construction d’une société nouvelle, basée sur l’acceptation des diversités. De cette manière, le système acquiert et conserve l’unité structurelle et fonctionnelle, tout en gardant la différentiation des éléments. Ce projet se fonde sur le préalable libre consensus que les personnes sociales se donnent (La Carta Magna, 9). Le dialogue est l’instrument par excellence, pour démarrer ce processus. Il est échange de mémoire, qui accepte de traduire graduellement les éléments d’une culture inconnue dans un langage culturel connu. Il se base sur la rencontre de l’autre altérité et il a du respect pour chaque personne (La Carta Magna, 10). Le terme « interculturation » y conviendrait mieux.
Toutefois, même si on se base sur la rencontre de l’autre altérité et le respect pour chaque personne, lorsque deux personnes ou deux cultures se rencontrent, il y a tendance tout à fait à défendre sa culture, une sorte d’apologétique. On a tendance à se baser sur quelque chose, à avoir un point de départ ou de référence. Le point de départ tout à fait naturel c’est sa culture, ce qui, quelquefois inconsciemment, conduirait à l’apologétique, car appartenant à un patrimoine culturel, on ne peut pas être neutre.
C’est pour cela qu’il faut d’abord identifier la raison de cette rencontre de deux personnes ou cultures, afin d’en connaître le point de départ. Pour les chrétiens ou les missionnaires, la raison de cette rencontre c’est la Bonne Nouvelle de Jésus-Christ, Celui qui ne s’est identifié à aucune culture, mais qui a relativisé toutes les cultures en les purifiant, les brisant et les transformant. Donc, pour éviter la démarche apologétique (défendre sa culture), la rencontre de deux personnes ou cultures aura comme point de départ l’Évènement-Jésus. C’est bien cela que le Père Guiseppe Frizzi veut souligner lorsqu’il propose de ne pas partir des analyses anthropologiques et psychologiques afin de les appliquer à la mission et aux missionnaires, comme l’ont fait beaucoup d’auteurs, mais de partir de la théologie de l’inculturation pour arriver aux contextes anthropologiques et psychologiques : un passage de l’interculturalité anthropocentrique à l’interculturalité théocentrique (Faith and interculturality, in Interculturality). Il s’agit d’une démarche non apologétique. Pour les Missionnaires de la Consolata, la raison de cette rencontre c’est que Dieu, par l’Évènement Jésus-Christ, s’est montré comme Consolateur, en donnant son Fils (la Vraie Consolation) sur la Croix par son Amour (l’Esprit Saint) pour le monde. C’est cette Amour (l’Esprit Saint) entre le Père et le Fils qui unit les deux personnes ou cultures qui se rencontrent et qui sont sous discernement, pour ne pas rester fixées ou enfermées sur elles-mêmes, mais pour se laisser défiées par l’Évènement Jésus-Christ.
Pour conclure, on peut retenir que pour bien inculturer le charisme ainsi que vivre bien une vie interculturelle, il faut d’abord bien saisir le noyau du charisme de l’Institut. Dans ce sens, après avoir identifié le noyau du charisme des Missionnaires de la Consolata, la qu’est la consolation, on procédera à l’inculturer, sans peur d’en perdre l’identité. Comme le faire remarquer le Père Piero Trabucco, le charisme inculturé sera, dans différents milieux culturels, comme une constellation, dont le noyau c’est la consolation (l’interculturalityin the life of the Institut).Toutefois, comme le fait remarquer le Père Francesco Pavese, l’inculturation ne devrait être ni forcée, ni imposée ni programmée, mais un processus spontané, cela, si les membres d’un Institut étaient cohérents, ouverts et non enfermés dans les expressions du passé (Enculturation of the charisma). En finition, nous faisons les nôtres ces paroles de Jean Paré : « Je suis convaincu qu’à l’intérieur de l’IMC, la principale source du pluralisme sera désormais notre interculturalité et le processus d’inculturation du charisme » (Tentative d’approche critique du charisme).

John Kioko Mwana’a Mwania, IMC 

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