Avant de venir en République Démocratique du Congo, j’entendais mes concitoyens parler de tant de choses concernant la RDC. Dans une certaine mesure, ce qu’on disait est vrai ; dans une autre, c’était une exagération. Prenons des exemples : Primo, j’avais entendu dire qu’ici au Congo il n’y a ni voitures ni routes. Secundo, on disait que la population congolaise ne comprend que des Pygmées et que tout le monde habite dans la forêt dans un état de nature où les plus puissants dominent sur les plus faibles. Tercio, on m’avait dit qu’au Congo il n’y a que la guerre.
Après m’être rendu compte que je venais au Congo, j’ai décidé de faire ce que l’on appelle en anglais «to bracket off » - c’est-à-dire que « mettre entre parenthèses ou bien mettre à côté toutes les informations que j’avais reçues sur la RDC quelque vraies qu’elles soient ou non». Je me suis dit : « Je vais commencer de nouveau, je vais m’approcher de la situation congolaise en soi ». Cela était pour m’aider à éviter les préjugés que j’avais appris jadis.
Arrivé en RDC, la première chose étonnante que j’ai rencontrée à l’aéroport de N’djili était la chaleur. Quelle chaleur mon Dieu ! Il faisait très chaud. La deuxième surprise était la manière dont se comportaient les gens à l’aéroport. Très méchants et agressifs ! J’ai failli perdre ma valise. Dieu merci, on ne m’a pas frappé, mais il s’en est fallu de peu ! J’ai eu une expérience très choquante tant et si bien que les préjugés que j’avais mis entre parenthèses me sont revenus à l’esprit et je me suis dit : «Qui vivra verra ! Voilà qui est vrai ! Toujours est-il que les Congolais mènent leur vie dans un état de nature où les plus forts prédominent, la guerre…oui, ils viennent de le confirmer !»
Par contre, j’ai appris avec le temps que le peuple congolais est très gentil et accueillant. Je me suis bien rendu compte que ces gens qui m’avaient bouleversé à l’aéroport n'étaient qu'un groupe de bandits et de voleurs qui y entraient au nom des porteurs, pour survivre.
La communauté du Théologat Joseph Allamano m’a chaleureusement accueilli et après une quinzaine de jours j’ai commencé l’apprentissage de la langue française. La première chose que l’on a faite était de changer mon nom de « John » en « Jean ». Je n’allais plus m’adresser « My name is John », plutôt « je m’appelle Jean », ce qui sera ma chanson de chaque jour. La deuxième étape a été celle de m’apprendre comment se prononce mon nom « Jean », une tâche vraiment difficile. Je me disais : « Premièrement, on a failli me frapper à l’aéroport. Deuxièmement, on a changé mon nom de « John » en « Jean », le nom que j’avais connu depuis mon enfance. Troisièmement, on voulait encore que je prononce autrement ! » Dans la même mesure, apprendre comment prononcer la lettre « u » était très compliqué. Tout d’abord, il fallait préparer la bouche de telle façon qu’il me soit possible de siffler. Puis, toujours en gardant la première forme de la bouche, on devait étendre les lèvres en avant jusqu’à ce que celles-ci soient bien allongées et rondes. Ce n’était qu’à partir de là qu’on était capable de prononcer le son « u ». Tout également, la lettre « r » est spéciale. Elle se prononce d’une manière ronflante. En fait, on peut confondre celui qui la prononce avec un ivrogne qui ronfle en dormant ; ou encore, en la prononçant, on peut penser que quelqu’un est en train d’enlever une grenouille qui demeure dans la gorge. Et il n’y a pas que cela! Lorsque mes confrères priaient « Gloire au Père et au Fils et au Saint-Esprit…à partir d’ici je ne retenais que « Ki-é, Ki-é, Ki-é, Ki-é (qui est, qui est, qui est, qui est) (…) et patati ! et patata…Si-è-klè-si-è-klè. Amen !»). D’ailleurs, j’étais tellement surpris lorsque j’ai assisté pour la première fois à la messe de Lingala. Mon Dieu ! Cela a pris trois heures et demie. Quand le moment était arrivé de chanter la Louange(le Gloria), j’ai vu les servants de messe ainsi que les prêtres danser autour de l’autel. Non ! Je ne croyais plus mes yeux. Et au moment des offrandes, j’ai rencontré encore une chose étrange. Tous les fidèles apportaient leurs offrandes en dansant. Je me suis demandé une fois de plus si j’étais dans une église catholique ou non. Mais ce qui me faisait croire que j’étais dans une église catholique c’est les prêtres qui dansaient autour de l’autel, car trois d’entre eux étaient missionnaires de la Consolata. Cela m’apparaissait étrange jusqu’à ce que je m’en fusse plus tardivement rendu compte du fait que c’est comme cela que l’on célèbre le Rite Zaïrois. Et qui étais-je donc de ne le pas croire ?
Cela n’est que pour montrer un peu comment toute la réalité ainsi que toutes les choses autour de moi m’apparaissaient étranges. Même les enfants se moquaient de moi. Ils ne croyaient point comment il se pouvait qu’un adulte que j’étais ne pût s’exprimer en français – ils en étaient gravement scandalisés !
Pendant tout mon temps d’apprentissage, j’ai eu le plaisir de rencontrer quatre grands professeurs de la langue française, notamment les professeurs Norbert Cilo, Jean-pierre Tshinemu, Paul - de New School(Le Pasteur) – et Richard. Chacun d’entre eux est grand et unique en sa manière.
Bref, d’un langage figuratif et par rapport aux événements salvifiques de notre foi chrétienne, je résumerais toute cette période d’apprentissage de la langue française ainsi : pendant tout ce temps, le Père Symphorien était pour moi comme Dieu le Père, le Maître ou la Source de la mission – il faisait continuer la mission (l’apprentissage du français); le Père Ramon était comme la Vierge Marie aux noces de Cana – il s’occupait de ce dont j’avais besoin, et en plus il me disait : « Tout ce qu’on vous dira, faites-le. » Le Professeur Cilo est venu comme Saint-Jean Baptiste préparer la voie du français ; le Professeur Jean-Pierre comme Jésus, au temps opportun pour approfondir ce que l’on m’avait appris ; le Professeur Paul était comme Apollos, et si vous me demandiez comment, je vous dirais que « pas de commentaires s’il vous plaît ! C’est qu’il m’enseignait au même moment que le Professeur Jean Pierre et qu’il arrosait ce que celui-ci avait planté ! ». Le Professeur Richard est venu comme l’Apôtre Paul, le tout dernier mais bien déterminé de me montrer l’immensité de la langue française ; la communauté était comme l’Esprit-Saint, toujours avec moi pour m’encourager et me consoler ; mes collègues (Luc, Jérémie, Charles et Yeinson) étaient comme les douze Apôtres –nous nous soutenions et nous étions vraiment tous unis pour atteindre un but, une mission, pas pour proclamer l’Evangile, plutôt pour maîtriser bien la langue. Cela veut clairement montrer que la maîtrise du français dont je suis fier et reconnaissant aujourd’hui est une mise en commun des efforts de plusieurs personnes.
Apprendre une langue étrangère n’est pas facile. Plus je m’approchais de la maîtrise du français, plus celui-ci s’éloignait de moi. Tantôt il y avait des moments faciles, tantôt des moments difficiles. Malgré tout, je faisais contre mauvaise fortune bon cœur. C’est grâce à cela que je viens de mettre fin au cours de français. Et pourtant je dirai comme Saint Paul a dit aux Philippiens : « Non que je sois déjà au but, ni déjà devenu parfait ; mais je poursuis ma course pour tâcher de saisir…je cours vers le but… ». Cependant, je suis quelque part à mi-chemin de ce concours. Cela veut dire que je n’ai créé que la base sur laquelle, de jour en jour, je construirai mon français.
Mon expérience me révèle est qu’apprendre une langue étrangère exige beaucoup d’humilité, de largeur d’esprit, de volonté d’apprendre, et surtout de patience ainsi que tant d’effort personnel. Ce n’est qu’à la fin de ce cours que j’ai beaucoup apprécié des petits dictons que la communauté me disait maintes fois «Mollo mollo !, pas à pas !, patience !, petit à petit les oiseaux volent !»
Maintenant je vois la valeur d’un proverbe en Kiyaka(une langue locale en RDC) qui dit « Dinga batu kimvuama » c’est-à-dire « la langue d’un peuple est une richesse ». Je me sens vraiment à l’aise avec ma nouvelle réalité. Les gens m’accueillent parce que je parle leur langue, je mange leur nourriture et je porte leurs habits – comme dit le proverbe « Aller chez l’hébreu en hébreu », il me semble que je suis allé chez les congolais en congolais, que je fais partie d’eux.
<Que Dieu bénisse tous ceux qui m’ont aidé à y arriver et surtout à m’insérer dans la réalité congolaise ! Amen>
<<<Cet article est aussi publié dans le Site des Missionnaires de la Consolata: http://www.consolata.org/>>>
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